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Des questions efficaces pour des réponses claires : comment transmettre nos questions à nos clients ?

Cet article est la suite d’un autre article sur le même sujet, publié le 19 novembre 2021 :
Des questions efficaces pour des réponses claires : comment formuler nos questions à nos clients ?

Dans un monde idéal, les textes sources que nos clients nous donnent à traduire sont parfaitement limpides, univoques, exacts et cohérents. Mais en pratique – nous en avons tous déjà fait l’expérience –, cette vision constitue une chimère qui nous échappe sans cesse, à notre plus grand désarroi.

Poser des questions à nos clients pour débroussailler des passages obscurs, préciser des phrases trop vagues, ajouter de la logique là où son absence rend l’entendement impuissant, nous assurer qu’un terme correspond bien à l’usage et aux normes souhaités fait partie inhérente de notre quotidien de traductrices et traducteurs. Bien sûr, nous ne pouvons nous borner à un bête transfert mot à mot. Aussi, nous avons tout intérêt à apprendre à poser les bonnes questions et, surtout, à les poser efficacement.

Remarque : dans cet article, j’utilise le terme « client » dans un sens générique pour parler à la fois de nos interlocuteurs au sein des entreprises ou des organisations qui nous confient des mandats, des gestionnaires de projet au sein d’une agence de traduction avec laquelle nous collaborons ou des donneurs d’ouvrage au sein des institutions qui nous emploient. Par extension, il comprend aussi les spécialistes du domaine auxquels nous pouvons nous adresser pour résoudre des problèmes de traduction.

Les deux principes essentiels pour poser des questions de manière efficace

1. Réduire la charge cognitive imposée au client

2. Limiter le nombre d’interactions

Dans le premier article que j’ai écrit sur le sujet, il y a quelques semaines, j’ai détaillé le premier principe essentiel pour poser des questions de manière efficace à vos clients : réduire leur charge cognitive. Dans ce deuxième article, je vous présente le deuxième principe fondamental et les différents aspects à prendre en compte pour transmettre vos questions à vos clients afin d’obtenir des réponses claires et précises rapidement.

Limiter le nombre d’interactions

Limiter le nombre d’interactions, c’est-à-dire le nombre d’échanges, sous forme de courriels, de messages, d’appels, etc., est essentiel pour réduire les perturbations imposées non seulement à votre client, mais aussi à vous-mêmes. Moins d’échanges de courriels ou d’appels signifient plus de temps pour vous consacrer à votre cœur de métier, la traduction. Quant au client, il profite bien entendu du même avantage : il peut lui aussi s’adonner à ses tâches les plus déterminantes. Le meilleur moyen de restreindre la quantité d’interactions lorsque vous avez des questions à poser à votre client sur un mandat donné, c’est de les rassembler et de les transmettre toutes en une seule fois.

Quand rassembler et poser vos questions ?

La première étape consiste à déterminer à quel moment du processus de traduction rassembler vos questions et les poser. Trois possibilités s’offrent à vous :

1. Durant la phase de prétraduction 

Si vous avez l’habitude de lire les textes sources attentivement une première fois avant de commencer à traduire et d’effectuer des recherches terminologiques et documentaires approfondies à ce moment-là, il pourra être pertinent de noter tous les points à éclaircir lors de cette étape.

+ En posant vos questions à votre client en amont, vous lui laissez davantage de temps pour vous répondre. Il est ainsi possible que vous obteniez les explications attendues avant la phase de révision, voire avant d’entamer la traduction, ce qui vous permettra d’intégrer les modifications directement et de ne pas avoir à reprendre intégralement votre texte à la toute fin.

–  Vous risquez de devoir à nouveau solliciter votre client à une étape ultérieure du processus. En effet, c’est souvent lors de la traduction à proprement parler que les problèmes de compréhension, les ambiguïtés, les incohérences les plus subtiles se révèlent. Il vous faudra alors envoyer une deuxième série de questions à votre client, c’est-à-dire provoquer une deuxième interaction, qui constitue une perturbation supplémentaire – et c’est ce qu’on souhaite éviter autant que possible !

2. Durant la phase de traduction proprement dite

C’est lorsque vous traduisez que vous portez vraiment votre attention sur le sens du texte source et la reformulation en langue cible et que vous êtes donc le plus susceptible de détecter d’éventuels non-sens, ambiguïtés, incohérences et autres problèmes de compréhension. Souvent, les questions d’ordre conceptuel ou terminologique surgissent assez spontanément lors de cette étape. Vous serez donc plus à même de dresser une liste exhaustive de tous vos doutes à ce moment-là.

+ Cette technique laisse en principe suffisamment de temps à votre client de vous répondre pendant que vous procéderez à la révision et aux derniers ajustements (mise en page, relecture par un collègue). Vous aurez généralement repéré et posé toutes les questions importantes à ce point, ce qui vous permettra, une fois des éclaircissements obtenus, de peaufiner votre texte pour produire une traduction exacte et cohérente.

–  S’il s’agit d’un mandat urgent, il se peut que votre client n’ait pas le temps de vous répondre avant l’échéance convenue. Vous devrez donc terminer votre traduction en laissant ces points en suspens. Votre client devra alors les résoudre en interne ou vous renvoyer le texte une fois le délai de livraison passé pour que vous vérifiiez une dernière fois les éléments problématiques. En outre, des questions peuvent encore survenir au moment de la révision, d’autant plus si vous faites relire votre traduction à un collègue. Il existe donc un risque, bien que faible, de créer une deuxième perturbation.

3. Lors de la livraison de la traduction

S’il s’agit d’un mandat urgent (délai de quelques heures ou traduction à livrer le jour même) et que vous savez que le client ne pourra pas vous répondre dans le délai prévu, la seule solution sera peut-être de mentionner les points épineux lors de la livraison de la traduction finale.

+ Cette solution vous permet de transmettre tout de même une version complète, dans les délais impartis, en faisant appel à votre meilleur jugement compte tenu des informations à votre disposition, tout en signalant les problèmes que le client devrait vérifier. S’il décide de publier ou d’utiliser la traduction sans lire vos commentaires, c’est sa décision : à ses risques et périls. Et s’il estime que c’est important de clarifier et de modifier certains éléments, soit il le fera en interne, soit il repoussera la date de livraison pour que vous puissiez procéder aux adaptations qui s’imposent.

–  Il existe un risque que le client ne prenne pas le temps de parcourir vos remarques ou qu’il ne s’attende pas à ce qu’un traducteur pose des questions sur le texte. Nombreux sont ceux qui ne savent pas ce qu’implique réellement le métier de traducteur et ne se rendent pas compte des toutes les nuances et ambiguïtés inhérentes à toute forme de communication. Si vous tombez sur un tel client, il pourrait juger cette manière de procéder non professionnelle dans le cas d’un mandat urgent.

Ma méthode de prédilection reste celle qui consiste à répertorier toutes mes questions lorsque je rédige le premier jet de ma traduction. Durant cette étape, je suis assez concentrée sur les détails pour repérer tous les problèmes qui mériteraient des éclaircissements, et j’obtiens généralement les réponses attendues avant l’échéance convenue, me permettant de livrer une traduction définitive sans points en suspens dans les délais. Toutefois, lors de mandats très urgents, il m’est déjà arrivé de recourir à la dernière option, c’est-à-dire de rendre ma traduction en demandant au donneur d’ouvrage de vérifier certains aspects en interne. À vous de discuter avec vos différents clients pour trouver des solutions adaptées à chaque contexte.

Sous quelle forme prendre note de vos questions ?

Une fois que vous avez déterminé à quel moment noter toutes vos questions, il vous faut définir sur quel support les écrire pour les transmettre à votre client. Là encore, trois options s’offrent à vous.

1. En commentaires

Vous pouvez insérer des commentaires sur les points problématiques directement dans le document traduit, notamment s’il s’agit d’un fichier Word, PowerPoint ou si vous travaillez avec SDL Trados Studio (d’autres logiciels de mémoire de traduction vous permettent aussi probablement d’intégrer des commentaires).

+ Vous n’avez ainsi pas besoin de passer d’un support à l’autre durant la traduction, ce qui limite les interruptions de votre flux de travail et vous permet de mieux vous concentrer et de travailler plus efficacement. De plus, vous visualisez précisément tous les problèmes qui se posent puisque chaque commentaire est rattaché de façon tout à fait apparente au point épineux concerné. Enfin, étant donné que les commentaires sont directement intégrés dans le document, il y a peu de chances pour que le client fasse l’impasse sur vos questions.

–  Cette méthode peut donner lieu à une étape de travail supplémentaire : si le client souhaite recevoir les questions dans un document séparé, vous devrez reporter vos remarques dans un autre fichier (Word, courriel, etc.) une fois votre traduction terminée. Ou le client devra lui-même supprimer les commentaires dans le document final après les avoir traités. Il faut dans tous les cas s’assurer que cette façon de procéder convient au client et qu’il verra les commentaires.

2. Dans un courriel (brouillon)

Une autre option consiste à préparer d’emblée un brouillon de courriel à l’attention de votre client et de noter vos remarques et questions dans ce brouillon au fur et à mesure de la traduction ou de la révision.

+ Ce processus permet de faciliter l’envoi de vos interrogations au client, car vous n’avez ainsi pas à les reporter dans un courriel une fois la traduction terminée. De plus, avec cette méthode, vous êtes sûr que le client verra vos questions. Et même s’il ne prend pas le temps de les parcourir et de modifier la traduction finale en fonction des éclaircissements attendus, vous savez que vous lui avez signalé les points problématiques et que vous avez rempli votre mission.

–  Cette méthode introduit une certaine friction durant le processus de traduction, puisque vous devez changer de support chaque fois que vous posez une question. Il faut aussi veiller à bien indiquer à quel passage du texte chaque élément en suspens se rapporte.

3. Dans un fichier Word, Excel ou une autre application de prise de notes

Cette technique n’a d’intérêt que si vous savez que vous allez pouvoir poser vos questions au client par téléphone ou de vive voix. Si tel est le cas, vous pouvez choisir de reporter vos interrogations dans un document Word séparé, ou dans toute autre application de prise de notes à votre convenance (Evernote, Notion, Excel, etc.).

+ Si vous avez déjà un modèle pour récolter vos questions et remarques dans une de ces applications ou si vous jugez être plus habile et rapide avec l’une d’elles, alors c’est un choix qui se justifie.

–  Comme pour la technique du courriel, cette méthode introduit une friction au cours de la traduction en raison du changement de support nécessaire pour enregistrer les problèmes que vous relevez. Si vous devez ensuite envoyer vos questions à votre client par voie électronique, optez plutôt pour une des deux techniques précédentes – prendre vos notes dans un courriel ou directement en commentaires dans le document – pour vous éviter une étape supplémentaire.

Conseil : au stade de la collecte, ne rédigez pas encore vos questions sous forme de phrases complètes et bien formulées. N’inscrivez que des mots clés, sans oublier bien sûr de noter la page et le chapitre, ou le numéro de segment de l’occurrence qui pose problème, et éventuellement de copier le mot, la phrase ou le passage sources. N’écrivez vos questions de façon détaillée qu’au moment où vous avez décidé de les envoyer. Ainsi, vous resterez plus concentré sur votre traduction et gagnerez probablement du temps. Il arrive souvent que l’on soulève des points problématiques au début d’une traduction, que la suite du texte vient éclairer ou que l’on résout seul parce qu’on est enfin tombé, au cours de nos recherches, sur LE document qui vient enfin gommer tous nos doutes. Évitez-vous un travail inutile en ne rédigeant précisément vos questions qu’à la toute fin.

Cela va de soi, la meilleure méthode est celle dont vous êtes convenu au préalable avec votre client.

Comment poser vos question ?

Enfin, une fois toutes vos questions rassemblées, vous devez établir le mode de transmission.

1. Face à face

Si vos questions sont très techniques et concernent de nombreux points de terminologie ou des problèmes de compréhension des concepts figurant dans le texte source, cette méthode peut être la plus adaptée.

+ La communication en face à face est souvent la plus efficace lorsqu’il s’agit d’éclaircir des difficultés de compréhension relatives à des concepts dans des domaines très techniques, car la gestuelle permet d’améliorer la passation de l’information. Si vous travaillez dans la même organisation et dans le même bâtiment que votre client ou que des spécialistes du domaine concerné, cette solution peut être envisageable. Lors de mon stage à l’Organisation météorologique mondiale (OMM), en 2018, j’ai pu directement me rendre dans le bureau d’un expert de Météosuisse, sans annonce préalable, pour lui poser des questions sur des aspects techniques. Mais je pense que ce n’est pas une option à laquelle il est souvent possible de faire appel, donc assurez-vous que cela fait bien partie de la culture de votre entreprise et envoyez d’abord un courriel à la personne visée pour vous enquérir de ses disponibilités.

–  Une telle démarche requiert du temps, aussi bien de votre part que de celle de votre client, et exige une certaine organisation. Dans la majeure partie des cas, elle n’est donc pertinente que pour de gros projets très techniques. De plus, il n’est généralement d’y recourir que si vous travaillez dans la même organisation ou dans le même bâtiment que votre client. Assurez-vous d’abord que cela fait partie de la culture de l’entreprise, et demandez à votre client ses disponibilités – ne vous pointez pas dans son bureau à midi, juste au moment où il allait prendre sa pause – en lui expliquant d’avance pourquoi c’est important et en précisant la nature des problèmes à résoudre.

2. Par téléphone

Cette méthode est un bon compromis entre le face-à-face et l’envoi d’un courriel.

+ Poser ses questions de vive voix est souvent plus efficace que par écrit, car il est toujours possible de demander des précisions ou de reformuler les explications données pour s’assurer d’avoir bien compris ce que le client a voulu dire.

–  Si vous appelez de but en blanc, sans prévenir, vous risquez d’interrompre votre client au milieu d’une tâche, ce qui est toujours désagréable. De plus, sans préparation, le celui-ci n’aura pas forcément en tête tous les éléments lui permettant de répondre de manière exhaustive à vos interrogations. Dans ce cas aussi, il vaut mieux demander un rendez-vous téléphonique au client au préalable.

3. Par courriel

C’est la méthode par défaut.

+ Ce mode de communication est le moins intrusif, car il laisse à l’interlocuteur le soin de choisir quand il souhaite consulter votre courriel et y répondre.

–  Il exige toutefois un effort plus important de votre part au moment de la formulation de vos interrogations, puisque vous avez la responsabilité d’orienter précisément le client pour qu’il comprenne bien d’où vient le problème et vous fournisse les éclaircissements dont vous avez vraiment besoin, ce afin d’éviter un nouvel échange de courriels. Il introduit aussi une incertitude quant au délai de réponse. Si le client ne juge pas vos questions urgentes, vous risquez de devoir attendre avant de pouvoir terminer votre traduction et d’être bloqué sur certains points.

Conseil : n’hésitez pas à informer votre client que vous vous tenez aussi à sa disposition par téléphone, si besoin, en lui indiquant des plages horaires auxquelles il pourra vous joindre. En cas de questions très techniques ou d’explications complexes, il vous appellera sans doute : en définitive, il en va de l’exactitude et de la qualité de ses documents.

Comme toujours, la meilleure façon de procéder dépend du contexte – mandat urgent ou non ? – et de vos habitudes de travail – faites-vous une première lecture approfondie du texte source ; votre premier jet subit-il généralement beaucoup de modifications lors de la révision ? Si vous ne savez pas quelle méthode est la plus adéquate dans le contexte spécifique dans lequel vous travaillez, mieux vaut discuter de cette question avec votre client soit dès l’acceptation du mandat, soit lors de votre première prise de contact, ou demander à votre supérieur direct qu’il vous explique les procédures habituelles dans ce genre de cas et qu’il vous donne des indications sur la culture d’entreprise.

Et vous, sous quelle forme rédigez-vous et transmettez-vous vos questions à vos clients ?