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Des questions efficaces pour des réponses claires : comment formuler nos questions à nos clients ?

Dans un monde idéal, les textes sources que nos clients nous donnent à traduire sont parfaitement limpides, univoques, exacts et cohérents. Mais en pratique – nous en avons tous déjà fait l’expérience –, cette vision constitue une chimère qui nous échappe sans cesse, à notre plus grand désarroi.

Poser des questions à nos clients pour débroussailler des passages obscurs, préciser des phrases trop vagues, ajouter de la logique là où son absence rend l’entendement impuissant, nous assurer qu’un terme correspond bien à l’usage et aux normes souhaités fait partie inhérente de notre quotidien de traductrices et traducteurs. Bien sûr, nous ne pouvons nous borner à un bête transfert mot à mot. Aussi, nous avons tout intérêt à apprendre à poser les bonnes questions et, surtout, à les poser efficacement.

Remarque : dans cet article, j’utilise les termes « client » et « cliente » dans un sens générique pour parler à la fois de nos interlocuteurs au sein des entreprises ou des organisations qui nous confient des mandats, des gestionnaires de projet au sein d’une agence de traduction avec laquelle nous collaborons ou des donneuses d’ouvrage au sein des institutions qui nous emploient. Par extension, il comprend aussi les spécialistes du domaine auxquels nous pouvons nous adresser pour résoudre des problèmes de traduction.

Qu’est-ce qu’une question efficace ?

C’est une question qui mène d’emblée notre cliente à nous fournir rapidement une réponse claire, précise et surtout pertinente, nous permettant de résoudre avec certitude le problème soulevé sans que nous ayons besoin de chercher d’explication supplémentaire.

Lorsque l’occasion nous est donnée de poser des questions de vive voix (par téléphone ou face à face), nous obtenons généralement les réponses voulues lors d’un seul échange, car nous pouvons rebondir directement sur les propos de notre interlocutrice, affiner nos questions en fonction de ses éclaircissements et lui demander des précisions dans l’instant. Toutefois, selon les clients pour lesquels nous traduisons, un échange oral n’est pas toujours faisable ni souhaitable, et les courriels constituent souvent le moyen de communication le plus approprié. Dans ce cas, obtenir du premier coup des réponses précises et pertinentes est capital, sous peine de devoir multiplier les échanges de courriels, qui perturbent à la fois nos activités de traduction – qui exigent un effort de concentration soutenu – et celles de la cliente.

Qui n’a jamais envoyé des questions par écrit à sa cliente, pour ne recevoir que de piètres ébauches de réponses, vagues, incomplètes, ou carrément à côté de la plaque seulement quelques heures avant le délai de livraison ? Facile de reporter la faute sur la cliente et de la traiter de tous les noms d’oiseau les plus obscurs, en pleurant comme une madeleine abandonnée. Mais, en réalité, nous sommes aussi actrices et acteurs des réponses que nous recueillons : nous pouvons façonner nos questions pour obtenir les explications que nous désirons. La rédaction des questions que nous envoyons à nos clients prend ainsi une tout autre dimension.

À cette fin, un principe essentiel peut nous guider pour définir notre stratégie de rédaction.

Réduire la charge cognitive imposée à nos clients

Si l’objectif est d’amener nos clients à nous fournir les réponses les plus explicites et les plus claires possibles, dans les délais les plus brefs et avec un minimum d’échanges, alors nous avons tout intérêt à réduire les efforts que nous leur demandons de déployer. Tout comme nous, ils sont pressés et très occupés. Ils sont aussi humains – vous en doutiez ? – et ont donc une tendance naturelle à économiser leur énergie. Et, surtout, répondre à la nuée de messages qui envahissent leur boîte ne les enchante sans doute guère.

Ainsi, si nous voulons des réponses pertinentes rapidement, il vaut la peine d’user de certaines stratégies pour mâcher le travail de ceux que nous sollicitons.

1. Poser nos questions dans la langue maternelle de nos clientes

Si rédiger nos questions dans une langue étrangère représente un effort supplémentaire pour nous, traductrices, traducteurs, il est attendu de nous, en tant que spécialistes des langues, que nous sachions nous exprimer correctement dans nos diverses langues passives. Dans le but de faciliter le travail de nos clientes, il vaut mieux, dans la mesure du possible, poser nos questions dans leur langue maternelle, ou au moins dans celle qu’elles utilisent le plus souvent au travail.

2. Privilégier les questions fermées, proposer des interprétations et reformuler

D’après moi, cette stratégie est celle qui mérite la plus grande attention. Elle vise deux objectifs: obtenir des réponses claires et limiter la quantité de mots que les clientes devront rédiger.

Les questions fermées sont celles auxquelles il peut être répondu par « oui » ou par « non ». Ce type de questions permet d’orienter la réponse de la cliente pour obtenir les éclaircissements les plus précis possible. Si elle répond par l’affirmative, il n’y a pas d’ambiguïté, notre interprétation est la bonne. Dans le cas contraire, la cliente devra alors elle-même rédiger une explication, qui nous éclairera peut-être, mais qui pourra tout aussi bien n’être qu’une répétition stérile du texte source.

D’où l’intérêt de poser nos questions en proposant des interprétations, formulées dans nos propres mots. La cliente peut ainsi choisir la bonne interprétation, sans nécessairement devoir tout expliciter elle-même (pour autant qu’une de celles fournies soit correcte). Si aucune ne correspond au sens originale du texte, elle se rendra plus facilement compte du problème et saura mieux nous préciser ce qui doit être compris en mettant l’accent sur les différences avec les hypothèses avancées.

Plus une question est formulée de manière détaillée, plus la réponse sera claire et plus nous serons couverts. La réponse de la cliente fait office de validation garantissant l’exactitude de notre traduction et son adéquation à ses besoins. Si pour x raisons il devait y avoir réclamation plus tard, nous conserverions de cette façon la preuve que nous étions tombés d’accord sur la formulation du texte cible.

Il faut partir du principe que la cliente ne voit pas les problèmes de sens à l’origine de nos questions et qu’elle pense nous avoir envoyé un texte parfait sous tout rapport. Si nous lui posons des questions ouvertes ou lui demandons de nous expliquer un passage sans reformulation de notre part, elle risque de ne pas comprendre où se situe le quiproquo et d’utiliser le même vocabulaire que dans le texte source, ce qui ne nous sera généralement d’aucune aide. Pour lui exposer clairement les différentes interprétations possibles, il faut lui donner à voir les incompréhensions et les ambiguïtés éventuelles en les rédigeant noir sur blanc.

Quelques exemples tirés de ma pratique

  • Questions de terminologie
    Pour autant que notre client comprenne aussi la langue cible (c’est par exemple généralement le cas dans l’administration suisse), il peut être utile de lui proposer un équivalent et de lui demander si celui-ci convient. Dans le cas inverse, le client corrigera ou nous expliquera pourquoi un autre équivalent serait plus approprié.
  • Questions de compréhension dues à des ambiguïtés ou à des imprécisions
    Dans ce cas, je vous encourage vivement à proposer une ou – encore mieux ! – plusieurs interprétations au client, selon votre entendement, et de lui demander laquelle est la bonne. Par exemple : « Faut-il comprendre X ? Ou est-ce que vous voulez dire Z ? » Si aucune des interprétations envisagées n’est correcte, le client rectifiera ou fournira des explications supplémentaires – tout du moins, espérons-le !
Phrase source problématique surlignée en jaune, question avec interprétations en gris, réponse du client en rouge

En outre, cette stratégie permet parfois au client de se rendre compte de certaines formulations maladroites qui demeurent dans le texte source, ce qui peut l’amener à modifier l’original pour le rendre plus clair. Ce type d’intervention est souvent très apprécié et nous offre l’occasion, à nous traductrices, traducteurs, d’accroître la valeur ajoutée de nos services.

Phrase source sur fond gris, points problématiques surlignés en jaune, liste à puce contenant les questions et propositions d’interprétation, réponse du client en gris sous la liste à puce
  • Questions relatives au formatage ou à la mise en page
    Il peut être judicieux de transmettre au client des captures d’écran avec les différentes propositions de mise en page et de nous enquérir de sa préférence, ou de lui envoyer une version provisoire avec la mise en page proposée et de lui demander si elle lui convient. Lorsque j’ai le temps et que cela ne requiert que peu de travail supplémentaire, je livre aussi parfois deux versions définitives, avec une mise en page ou un formatage distincts, pour que le client puisse directement utiliser celle qui lui plaît le plus sans qu’un nouvel échange de courriels soit nécessaire.

3. Fournir toutes les références

Il est important de veiller à bien situer le passage du texte source sur lequel porte chacune de nos questions en donnant toutes les informations nécessaires, telles que le numéro de page, de diapositive ou de segment (en fonction du format), l’intitulé du chapitre, etc., et de copier dans le corps du message la phrase source dans son contexte.

En cas de référence à des sites, à des documents, à des publications, à des échanges de courriels, entre autres, pensons à ajouter les hyperliens, à indiquer le nom des sites consultés et, si possible, à insérer les documents électroniques en pièces jointes.

4. Améliorer la lisibilité des questions

Pour que la cliente trouve les informations importantes le plus rapidement possible et n’oublie involontairement aucune de vos questions, il peut être judicieux de surligner les termes ou les points prêtant à confusion avec une couleur vive.

Marquer la distinction entre le passage source intégré dans votre courriel accompagné de son contexte et vos interrogations concernant ce passage en faisant par exemple appel à des couleurs de police différentes rend la structure de vos questions plus claire pour la cliente.

Faire bon usage des listes à puces, des retours à la ligne et des espaces pour séparer les diverses questions améliore la lisibilité globale de votre message et empêche votre cliente d’omettre – dans sa précipitation, et sans le vouloir, bien sûr ! – un point.

Le point de la liste à puce indique une question sur un passage problématique ; le texte en noir est le passage source qui sert de contexte ; le texte en gris indiqué par la flèche contient mes questions ; les éléments surlignés en jaune sont les points spécifiques sur lesquels portent mes interrogations

Lorsqu’appliquées systématiquement, ces différentes stratégies devraient amener nos clients à nous fournir rapidement des réponses exhaustives et pertinentes, qui nous aident bel et bien à résoudre les problèmes rencontrés et à rendre notre traduction exacte, précise et conforme à la fonction visée. Bien sûr, il arrive que malgré tous nos efforts, un client reste vague ou maladroit dans ses explications et que nous ne soyons pas plus avancés après ses réponses, ou que celles-ci soulèvent de nouvelles questions. Dans ce cas, dans la mesure du possible, il vaut mieux l’appeler pour mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes.

Et si, en dépit de toute notre bonne volonté et de nos habiles tentatives, nous ne parvenons toujours pas à obtenir les éclaircissements nécessaires pour achever notre traduction, rappelons-nous que nous n’avons qu’une obligation de moyens. Si nous avons usé de toutes les stratégies à notre disposition et applicables dans les délais impartis, alors notre travail peut être considéré comme fait. Nous ne sommes pas responsables des clients qui ne coopèrent pas à la satisfaction de leurs propres besoins !

Et vous, quelles stratégies utilisez-vous pour obtenir des réponses claires de vos clients aussi rapidement que possible ?